Le 26 janvier prochain s’ouvrira le débat parlementaire sur la loi Macron. Si plusieurs mauvais coups en ont été retirés, c’est pour mieux être portés plus tard : ainsi, la réforme de la médecine du travail devrait ainsi ressurgir dans un texte sur la santé au printemps. Ce projet de loi contient toujours des attaques majeures pour les droits des travailleurs : au-delà de la généralisation du travail dominical (article 1), il s’attaque aux prud’hommes et à l’inspection du travail (article 2), facilite encore un peu plus les licenciements économiques et les plans sociaux (article 3) et ouvre de nouveaux secteurs à la logique capitaliste (article 4).
La méthode est tout autant significative que le contenu de la loi. D’abord parce que Macron veut passer par ordonnances sur bien des points : la comédie du dialogue social est remisée au placard car le gouvernement sait qu’il ne trouvera aucun soutien, même parmi les directions syndicales qui l’ont soutenu précédemment, tellement son projet est régressif...
Ensuite parce que c’est le ministre de l’Économie qui légifère sur des matières qui touchent la justice, le travail, la santé. Pour le gouvernement PS-Medef, l’ensemble du droit doit désormais être au service de la compétitivité et des profits du patronat.
Macron entend faire passer sa loi avant la raclée programmée des départementales-cantonales de mars 2015. Le projet de loi est présenté en procédure d’urgence, avec une seule lecture au Parlement. Il est donc tout aussi urgent de nous mobiliser !
Si les confédérations sont pour le moment complètement passives, l’intersyndicale du commerce francilienne appelle d’ores et déjà à la grève le 26 janvier, jour de l’ouverture du débat parlementaire.
A nous de faire en sorte que cette date soit le plus largement reprise afin de construire une mobilisation unitaire pour le retrait du projet de loi.
Depuis 1906, le code du travail prévoit que « le repos hebdomadaire est donné le dimanche ». à l’époque, cette loi avait été adoptée sous la pression de l’action syndicale et des mobilisations sociales...
Si le projet de loi Macron ne compte pas revoir cette formulation, il n’en constitue pas moins une pierre de plus sur le chemin de la déconstruction du droit du travail. Le principe du repos dominical est déjà remis en cause par de multiples dérogations. La nouvelle loi facilitera un peu plus encore le développement du travail le dimanche, en particulier dans le commerce.
Concrètement, que prévoit le projet de loi ? L’ouverture sur décision du maire 12 dimanches par an. Les commerces de détail non alimentaires pourront ouvrir, sur décision du maire, 12 dimanches par an au lieu de 5 actuellement.
Sur ce point, il y a débat au PS : à partir de combien de dimanches travaillés est-on vraiment de gauche ? 7 selon Cambadélis… Macron est prêt à en discuter. Un faux débat puisque la loi va surtout élargir les possibilités offertes aux commerces d’ouvrir tous les dimanches. Explications.
L’invasion des Puces
Les Puces vont infester des zones entières. Actuellement, dans les zones appelées Puce (Périmètre d’usage de consommation exceptionnelle) que le préfet peut créer sur proposition du conseil municipal, et dans les « zones touristiques », les commerces de détail non alimentaires peuvent ouvrir tous les dimanches.
On a vu ces dernières années des Puces fleurir un peu partout. Certaines ont même été créées dans des endroits où des inspecteurs du travail un peu trop zélés s’évertuaient à faire fermer des magasins ouverts illégalement. Les Puces n’ont donc en fait plus grand-chose d’exceptionnel. Le projet de loi prend acte de cette réalité et rebaptise les Puces « zones commerciales ».
En plus des « zones commerciales » et des « zones touristiques », le projet de loi crée des « zones touristiques internationales ». Elles se trouveront à Paris, notamment autour des Champs-Élysées.
Toutes ces zones seront définies par arrêté ministériel. L’ouverture des commerces dans les gares pourra également être décidée par ce biais. Dans les trois types de zones, l’autorisation d’ouvrir le dimanche sera accordée de droit, sans formalisme particulier, et non comme auparavant sur autorisation préalable du préfet qui accordait la dérogation pour cinq ans.
Quelles garanties pour les salariéEs ?
Pour les salariés des commerces des « zones » précitées, la loi ne prévoit aucune contrepartie minimale, tout doit être prévu par accord. Or ces accords fixant les contreparties pourront être négociés dans la branche, dans l’entreprise ou même dans l’établissement. Donc au niveau où le rapport de forces est le plus défavorable aux salariés.
Autre garantie censée être donnée aux travailleurs : ils devront être volontaires. On se passera de commentaire sur cette notion de volontariat dans le rapport de domination qu’est le travail…
Seulement les commerces ?
N’oublions pas que le travail le dimanche est autorisé de longue date dans de nombreux autres secteurs que le commerce. Dans les hôpitaux ou les transports en commun bien sûr mais pas seulement : une longue liste prévue par le code du travail autorise tout un tas de secteurs très divers à faire travailler leurs salariéEs le dimanche.
Ceci est censé être indispensable au bon fonctionnement de l’activité en cause. Mais pourtant, en quoi est-il réellement indispensable que les jardineries ou les services de vente de voyages par téléphone soient ouverts le dimanche ? Surtout que dans ces secteurs, aucune contrepartie n’est prévue pour les salariéEs !
Aujourd’hui, selon les données officielles de la DARES datant de 2011, 6 millions de salariéEs travaillent occasionnellement ou habituellement le dimanche, dont la moitié pour la deuxième option.
En 20 ans, de 1990 à 2010, la part des salariéEs occupés le dimanche est passée de 20 à 30 %. Bref, on peut dire que le travail le dimanche est en train de devenir la norme. La loi Macron ne fait que renforcer cette tendance, signe d’un rapport de forces toujours plus favorable aux employeurs que seule une mobilisation d’ampleur pourra inverser.
Il y a un an et demi, la loi de sécurisation de l’emploi transcrivait l’ANI du 11 janvier 2013 signé entre le patronat, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, et modifiait notamment les règles relatives aux plans de sauvegarde de l’emploi (PSE)...
Avec Macron, les PSE, mis en place soit par accord d’entreprise majoritaire avec les organisations syndicales, soit par document unilatéral, sont dorénavant soumis à validation ou homologation de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).
La période d’information et de consultation des comités d’entreprise sur les PSE a par ailleurs été strictement délimitée pour ne plus excéder quatre mois.
Plus vite et moins de risques...
La conséquence est double : les patrons peuvent licencier plus vite, et avec moins de risques. En effet, la validation ou homologation par la Direccte des PSE ne rend plus possible la saisine du juge des référés afin de suspendre le projet de restructuration avant sa mise en œuvre.
Les salariéEs et leurs syndicats peuvent certes contester a posteriori la décision de l’administration, mais entre-temps l’employeur a le droit de licencier et de fermer l’entreprise, rendant impossible toute réintégration même si les salariéEs obtiennent gain de cause.
Mais il faut croire que le dispositif n’était pas suffisamment sécurisé au goût du gouvernement et du patronat… Il est vrai qu’une série de jugements des tribunaux administratifs, même s’ils sont en nombre limité au regard de l’ensemble des procédures, a retoqué des décisions de validation ou d’homologation prises par l’État. C’était notamment le cas de la faillite organisée du transporteur Mory-Ducros.
D’où les articles 98 à 104 du projet de loi Macron, regroupés sous une section intitulée cyniquement « Amélioration du dispositif de sécurisation de l’emploi », qui viennent faciliter, encore un peu plus, les licenciements collectifs pour motif économique, limiter les droits des salariéEs victimes de ces procédures et éviter aux entreprises de payer des indemnités.
Sécurisation de l’emploi... ou liquidation ?
Ainsi le projet de loi prévoit tout d’abord la suppression du contrôle exercé par l’administration du travail sur les procédures pour les licenciements économiques de moins 10 salariéEs effectués par les entreprises de plus de 50 salariéEs (article 99).
De plus, il supprime l’obligation de rechercher les reclassements des salariéEs licenciés hors du territoire national. Ce sera dorénavant au salariéE de demander la liste des emplois disponibles à l’étranger (article 100).
Il prévoit un allègement des obligations de reclassement pesant sur les entreprises en procédure de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire. Le contrôle de la qualité du plan de reclassement ne s’appréciera plus au regard des moyens dont dispose le groupe, mais de ceux de l’entreprise.
Or par définition, une entreprise en liquidation n’a plus d’argent dans les caisses ! Les groupes pourront ainsi organiser la faillite des filiales dont ils veulent se séparer sans avoir à financer le PSE...
En outre, les entreprises qui font partie d’un groupe, n’auront plus d’obligation de formation, d’adaptation et de reclassement des salariéEs au niveau du groupe, mais de l’entreprise (article 101).
Le projet prévoit aussi la possibilité de fixer le périmètre d’application des critères d’ordre de licenciement (charges de famille, ancienneté, handicap…) à un niveau moindre que l’entreprise. Les entreprises pourront donc décider unilatéralement de réduire ce périmètre à la seule entité concernée par les suppressions de postes, et choisir librement et arbitrairement les salariéEs licenciés (article 98).
Enfin, est supprimé le droit à réintégration ou au versement de dommages et intérêts par l’employeur en cas d’annulation d’une décision de validation ou d’homologation d’un PSE pour insuffisance de motivation (article 102).
Vraiment, les capitalistes n’en ont jamais assez : même une poignée de décisions de justice défavorables leur sont insupportables. Force est de constater que, à l’inverse des salariéEs licenciés, leurs plaintes ont été immédiatement entendues par le gouvernement
Dans la continuité des réformes engagées depuis 2012, le projet de loi poursuit l’affaiblissement de l’inspection du travail et des conseils de prud’hommes.
Ça sent toujours plus le sapin pour l’inspection du travail
Déjà mise à mal par la réforme Sapin qui supprime 10 % de ses effectifs et qui vise à réorienter son action en limitant son autonomie, le projet Macron cherche à faire passer par ordonnance le projet de loi qui modifie ses pouvoirs, projet déjà retoqué en janvier 2014 par le Parlement.
Or ce projet, qui concerne le régime des sanctions en droit du travail, prévoyait de remplacer le système actuel d’amendes pénales décidées par jugement d’un tribunal par des amendes administratives décidées par les Direccte – Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –, un titre qui résume la place de l’inspection du travail dans ces services institués dans l’intérêt unique de l’entreprise...
Les patrons pourraient ainsi échapper au procès pénal et négocier le montant de leurs amendes avec le Direccte, soumis à l’autorité du préfet et des politiques et dont les intérêts de carrière ne sont évidemment pas compatibles avec la défense des travailleurEs (cf. l’affaire Tefal 1). Le Direccte pourrait même décider d’engager une transaction pénale avec un patron délinquant et donc de mettre fin à un procès pénal engagé par l’agent de contrôle !
Les salariéEs et leurs organisations syndicales ne pourraient plus être partie au procès ni se constituer partie civile... Le même sort semble prévu pour le délit d’entrave aux IRP – Institutions représentatives du personnel –, que Hollande souhaite dépénaliser... comme l’a demandé le Medef dans son « livre jaune ». Aussitôt demandé, aussitôt fait !
Les conseils de prud’hommes mis au pas
Déjà mise à mal par des saignées sous l’ère Sarkozy et par la suppression – toute récente – de l’élection directe des conseillerEs par les salariéEs, le projet accentue le rapprochement de cette justice du travail à la justice ordinaire, en transformant les juges élus, les conseillerEs prud’homaux, en simples assesseurs des magistrats professionnels. Les jugements rendus par les seuls conseillerEs prud’homaux sont en effet suspects d’être trop favorables aux salariéEs. Il s’agit donc de les mettre au pas et de multiplier l’intervention des magistrats professionnels.
Plusieurs changements notables sont donc contenus dans le projet, à commencer par la remise en cause de la compétence exclusive des prud’hommes. En introduisant dans le droit du travail les procédures de médiation et de convention participative issues du droit civil, Macron veut développer le règlement des litiges en dehors des prud’hommes et accréditer l’idée que les patrons et salariéEs pourraient négocier leurs différends sur un pied d’égalité...
De plus, est créé un bureau de conciliation et d’orientation, avec extension de la formation restreinte. Avec l’accord des parties, ce nouveau bureau pourra renvoyer l’affaire directement vers le bureau du jugement pris dans sa composition restreinte (un conseillerE employeur, un conseillerE salarié), mettant fin de fait à l’obligation préalable de trouver un terrain d’entente avant tout procès.
Mais surtout, sur demande du bureau de conciliation, l’affaire pourra même être directement renvoyée en formation de départage, composée de deux conseillerEs et présidée par un juge professionnel, soit par accord des parties, soit en cas de partage du bureau. Ceci met quasiment fin à la formation du bureau de jugement au complet (4 conseillerEs). Et cette décision ne sera pas susceptible d’appel.
Véritable encadrement disciplinaire des conseillerEs, une nouvelle procédure est mise en place en vue de prononcer la déchéance du mandat d’un conseillerE ainsi que pour faire reconnaître l’existence d’une « faute disciplinaire ».
Une commission nationale de discipline est instaurée, composée de juges professionnels (alors que jusqu’à présent, les conseillerEs devaient s’expliquer devant leurs pairs). Des exigences de « dignité » et de « probité » sont ajoutées... Extrêmement floues et subjectives ! Un devoir de réserve est même créé. Enfin, pas question de faire grève : celle-ci sera désormais limitée, comme pour les juges professionnels.
Enfin, il y a la place de l’avocat et du défenseur syndical. La représentation deviendrait obligatoire en appel, soit par un avocat soit par un défenseur syndical, c’est-à-dire un salariéE mandaté par une organisation syndicale. Celui-ci intervient sans protection contre le licenciement, mais est soumis à d’importantes obligations, sous peine d’être radié de la liste.
Avec l’ensemble de ces mesures, le gouvernement veut donc retirer aux salariéEs les quelques outils juridiques dont ils disposaient encore pour se défendre.
1 – Pour avoir mis en cause l’accord sur les 35 heures, l’inspectrice du travail Laura Pfeiffer subit depuis presque deux ans les pressions, le harcèlement conjugués de son administration et de la société Tefal (cf Libération N° 10392 mercredi 15 octobre 2014)
La loi Macron vise à faciliter l’exploitation des salariéEs mais aussi à ouvrir de nouveaux champs au capital, dans la droite ligne des directives de la Commission européenne.
Il s’agit tout d’abord de permettre à la grande bourgeoisie de réaliser quelques profits supplémentaires au détriment de la petite, en investissant le marché du droit.
Ce marché est aujourd’hui cloisonné, car seuls les membres d’une même profession réglementée – notaire, avocat, commissaire-priseur, etc. – peuvent détenir les titres des sociétés au sein desquelles est exercée la profession.
Le projet de loi prévoit donc l’ouverture du capital de ces sociétés qui, associée à une libéralisation de l’installation des notaires, à un élargissement du ressort territorial dans lequel peuvent plaider les avocats et à une révision des tarifs, devrait favoriser le développement des grosses structures. Voilà pourquoi les membres de ces professions, d’habitude peu portés sur la mobilisation collective, se retrouvent dans la rue par dizaine de milliers.
Profits partout, justice (sociale) nulle part !
Mais surtout, le ministre-banquier veut étendre la logique de la production pour le profit à des secteurs qui en étaient jusqu’ici relativement préservés. Certains sont relativement réduits, comme l’examen du permis de conduire qui serait confié à des entreprises privées pour la partie théorique et le permis poids lourd, avec une hausse probable du coût pour l’usagerE.
D’autres représentent potentiellement des profits beaucoup plus juteux. C’est le cas du transport par autocar entre les grandes villes, jusqu’ici interdit hormis dans le cadre de liaisons internationales.
Le gouvernement prend prétexte de la cherté des billets de train pour déréglementer le transport par bus, et soumettre ainsi la SNCF – déjà mise à mal par les réformes successives – à une nouvelle concurrence. L’issue n’est pas difficile à deviner : moins de passagerE dans les trains, donc un établissement public plus déficitaire et des billets de train plus chers...
C’est aussi le cas des aéroports. Après celui de Toulouse, dont le capital a été en partie cédé à un consortium formé d’un groupe chinois immatriculé dans les paradis fiscaux et d’un groupe canadien radié par la Banque mondiale pour des faits de corruption, le projet de loi prévoit la privatisation des aéroports de Nice et de Lyon. Ce faisant, c’est une véritable rente que le gouvernement « pro-business » de Valls s’apprête à concéder. Les aéroports sont en effet placés de facto en situation de monopole : ainsi l’aéroport de Toulouse Blagnac a par exemple généré près de 10 millions d’euros de profits lors de son dernier exercice comptable.
Ces projets sont d’autant plus scandaleux qu’un rapport de la Cour des comptes vient de démontrer que, pour des infrastructures similaires, les autoroutes, la privatisation – initiée par le gouvernement Jospin et complétée par Villepin – a abouti à une hausse continue des tarifs et à générer des profits gigantesques (7,6 milliards d’euros de recettes en 2011) sur le dos des automobilistes.
Alors que la dénonciation anticipée des contrats et la renationalisation des autoroutes est réclamée jusque dans les rangs du PS, la loi Macron ne contient sur ce point que de timides mesures visant à encadrer l’évolution du prix des péages.
Les Vinci et autres Eiffage peuvent se rassurer :
avec Macron, leurs rentes sont bien gardées !