Datée du 11 septembre 2013
LA HONTE,
LETTRE AUX ELUS ET GOUVERNANTS DE LA REPUBLIQUE.

Nous, sans-logis, militants et citoyens solidaires, occupants de la place de Jaude, à Clermont-Ferrand, interpellons par la présente l'ensemble des élus et des responsables politiques de France.
Depuis maintenant une semaine, depuis que 350 personnes, hommes, femmes et enfants ont été jetés à la rue du jour au lendemain faute de financement d’État pour un hébergement d'urgence saturé, nous dormons dehors.
La solidarité des clermontoises et des clermontois nous permet de
survivre, pendant que les pouvoirs publics tentent par tous les moyens de faire partir les sans-logis de la place centrale de la capitale auvergnate.
Depuis plus d'une semaine, nous n'avons aucune garantie quant au relogement de toutes ces personnes, qui jusqu'à dimanche 1er septembre étaient hébergées par le 115, sans conditions.
Le système d'hébergement d'urgence en hôtel, unanimement reconnu comme inconfortable et inadapté pour les familles (changement de logement chaque semaine, impossibilité de cuisiner, promiscuité, ...) et très coûteux, doit laisser la place à un hébergement permettant à chaque famille de se stabiliser, de se reconstruire après l'exil, d'espérer reprendre une vie normale.
Nous partageons donc depuis longtemps la volonté de l'ANEF, qui gérait jusqu'ici l'hébergement d'urgence en Auvergne, de proposer aux familles sans-logis un hébergement en appartement.
Samedi, après cinq jours de campement place de Jaude, le tribunal administratif a donné tort à la préfecture, et enjoint le préfet à reloger décemment, dans les 72h, les familles avec enfants.
Cette décision, n'a pour l'instant donné lieu à aucune mesure sérieuse. Seulement 120 places en gymnase pour héberger les 350 sans-logis, quelques studios de 9m2 où sont dirigées des familles avec 3 enfants, des places dans des cabanes de chantier, maintes fois dénoncées par les associations comme un pis-aller indigne.
Pire, sept familles hébergées la semaine dernière ont été sorties de foyers hier matin, pour que leur place soit proposés aux occupants de la place de Jaude. Ils viennent d'arriver, certains au gymnase, d'autres avec ceux qui maintiennent l'occupation.
Aucune solution, aucune considération pour la détresse de ces familles, ballottées d'hôtels en foyers, pour finir dans un gymnase, ou sous une tente collective place de Jaude.
Aujourd'hui encore, la préfecture refuse de s'engager concrètement, et gagne du temps... Pourtant les solutions politiques existent, elles sont même d'une redoutable simplicité. Tout d'abord, plus de 7000 logements (srce INSEE) sont vacants sur la seule ville de Clermont-Ferrand, quasiment 10% du parc immobilier.
Nous savons que des lois facilitant la réquisition publique d'appartements sont à l'étude. Comme le démontrent les chiffres, elles seraient largement à même de couvrir les besoins des sans-logis, français ou étrangers, et de proposer une solution économique à la crise du logement.
Nous demandons donc courage et détermination à Mme la Ministre Cécile Duflot, pour que État et collectivités puissent facilement et rapidement mettre à disposition de ceux qui en ont besoin, une solution de logement digne et pérenne.
Ensuite, comprenez, élus et gouvernants, que parmi les Sans-logis qui occupent depuis une semaine la place de Jaude, la plupart sont étrangers, et attendent, souvent depuis de nombreuses années, la reconnaissance de leur situation de réfugiés, et/ou un titre de séjour autorisant à travailler.
Ne croyez pas qu'ils ont quitté leur pays, leur famille et leur vie d'avant pour recueillir des allocations familiales au pays des Droits de l'Homme. Ils ont fui leur pays, la misère, la guerre ou les persécutions, se sont ruinés en payant des passeurs capables de les amener sur ces terres françaises dont la devise, au fronton des édifices publics, proclame Liberté,Égalité, Fraternité.
Mais faute de droits, faute de papiers, ils sont confinés dans le système d'aide d'urgence, dans l'attente d'un titre de séjour, humiliés de devoir réclamer le nécessaire pour vivre, soumis à la froideur d'une politique migratoire qui refuse de leur laisser la moindre perspective depuis des années.
Nous vous appelons donc, élus et gouvernants de la République, à venir vous-même interroger les occupants sur leurs motivations, et ce qu'ils demandent à l’État. Ils vous confirmeront eux-mêmes qu'ils ne demandent que le droit de travailler, d'offrir une scolarité sereine à leurs enfants, et d’être jugés comme des êtres humains à part entière, non comme d'effrayants étrangers avides de subsides publics.
Nous demandons donc au Ministre de l'Intérieur et au gouvernement de rompre avec «l'immigration choisie » du précédent quinquennat, bâtie sur le mythe d'une fermeté nécessaire face à un risque d' «appel d'air » migratoire démenti par les faits et la statistique.
Cette politique est inefficace, douloureuse pour tous ceux qui la subissent, injuste car favorisant les passe-droits, les passeurs et le travail illégal.
Nous vous appelons donc, élus et gouvernants de la République, à comprendre qu'il est impossible de régler la question de la saturation des hébergements d'urgence sans revoir en profondeur la politique migratoire, la délivrance de titres de séjour, et l'application du droit d'asile conformément à la Convention de Genève et à nos textes constitutionnels.
Nous appelons aussi les élus de la Mairie de Clermont-Ferrand à nous soutenir pour que cette situation indigne du Pays des Droits de l'Homme trouve une issue favorable, tant pour les sans-logis que pour les pouvoirs publics.
Nous appelons tous ceux qui défilaient à nos côtés sur ces mêmes propositions pendant la présidence Sarkozy, à réaffirmer leur soutien aux Sans-Papiers.
Nous remercions encore la population clermontoise, toutes celles et ceux qui ont contribué par leurs dons, leur mobilisation, leur présence massive aux manifestations, à rendre à ces naufragés de la République l'espoir de reconquérir un toit, leurs droits et leur dignité. Et à nous libérer, devant cette situation absurde et dégradante, d'un peu de notre sentiment de honte.
Prise de parole de Clément
pour les occupants de la Place de Jaude
à la manifestation du 10 septembre 2013