Ce dossier s'est inspiré du topos introductif de la réunion publique "les femmes dans les révolutions"qui a eu lieu le 1er mars 2013 sur la FAC de Lille.
La semaine prochaine, c'est le 8 mars. Le 8 mars, c'est pas la journée de la femme, une journée comme ça, dans l'année où on célébrerait joyeusement le modèle féminin par excellence. Le 8 mars, c'est pas une journée comme ça, qui aurait été choisie par hasard, parce que bon, il fallait bien une journée de la femme, de la meuf, de la gonzesse.
Avant tout, LA femme, ça n'existe pas. Il n'y a pas une féminité par essence, qui ferait que les femmes sont toutes identiques. Le 8 mars n'est donc pas la journée de la femme, c'est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes.
Et pourquoi le 8 mars ? Cette date trouve ses origines dans les luttes des femmes américaines au XIXème S.
Le 8 mars 1857, les travailleurs et travailleuses du textile de New York ont manifesté pour exiger de meilleures conditions de travail et un salaire égal pour les
femmes.
51 ans plus tard, le 8 mars 1908, nouvelle grève dans l'industrie textile demandant le droit de vote pour les femmes.
Suite à cela, en 1910, une conférence de femmes socialistes affiliées à la deuxième Internationale communiste, sur une proposition de la révolutionnaire Clara Zetkine, décident d'établir le 8 mars comme journée internationale de lutte pour les droits des femmes.
Cette journée du 8 mars a eu une dimension symbolique et une dimension de lutte énormes à beaucoup de reprises dans l'histoire. Pour citer un exemple, le 8 mars 1878, en plein milieu de la révolution iranienne, des milliers de femmes ont défilé pour leurs droits dans les rues de Téhéran.
Et cette date est encore un moment de mobilisation importante à notre époque, parce que c'est un moment de mobilisation et d'organisation pour les femmes du monde entier.
I/ Capitalisme et patriarcat
L'oppression des femmes n'apparaît pas avec le capitalisme, elle a commencé à exister bien avant.
Il faut donc commencer par poser une chose, c'est que la domination des hommes sur les femmes ne dépend pas de la division de la société en classes sociales et que la fin du système capitaliste
n'implique pas mécaniquement la fin de l'oppression des femmes.
Pourtant, le capitalisme à pérennisé cette
forme de domination et l'a adaptée à ses propres besoins, la rendant inhérente au fonctionnement du système.
La famille nucléaire, c'est à dire un homme, une femme et des enfants, est le premier câdre de l'oppression des femmes. Le développement du capitalisme au XIXe siècle permet un développement de plus en plus important de l’urbanisation et de l’industrialisation. Celui-ci s’accompagne de
la séparation entre les lieux de production (les usines) et les lieux de reproduction de la force de travail (la sphère familiale).
Les femmes s’occupent alors uniquement du foyer, tandis que les hommes sont censés s’occuper de la production et donc de la sphère publique. Le capitalisme a besoin de l’institution familiale pour pouvoir assurer la reproduction de la force de travail et fonder la division sociale et sexuelle du travail.
Le travail domestique est un travail gratuit
qui est assuré majoritairement par les femmes (encore aujourd’hui les femmes assurent 80% du noyau dur des tâches domestiques). Le travail domestique est nécessaire pour renouveler la force de
travail : préparer à manger pour être en forme pour travailler, élever des enfants qui seront la future main d’œuvre. C’est un travail gratuit des femmes bien utile au
capitalisme.
Avec le développement du capitalisme, naît aussi le salariat féminin. En effet,
après la seconde guerre mondiale, le capitalisme a besoin de plus de force de travail.
Le boom économique a fait entrer massivement les femmes sur le marché du travail car en période d’expansion, le système a besoin à la fois de main d’œuvre et à la fois de nouveaux consommateurs. Mais le salariat féminin a entraîné une contradiction : il permet plus d’autonomie financière et personnelle mais malgré le travail salarial les femmes continuent à s’occuper très majoritairement des tâches ménagères, c’est la double journée de travail des femmes.
Comme elles continuent à être responsables des tâches domestiques, elles prennent
aussi les boulots les plus précaires, à temps partiel, les moins valorisés, les moins payés, les emplois dits féminins (infirmières, femmes de ménages, secrétaires, etc.). Elles ont des salaires
toujours plus bas que les hommes.
Pour les capitalistes, l'oppression des hommes sur les femmes a une dernière fonction principale, celle de diviser notre camp social. En effet, en relayant l'idée que les femmes sont inférieures
aux hommes, il devient plus difficile de se rendre compte des intérêts communs en temps que classe sociale et de la nécessité de lutter collectivement pour le renversement du
système.
Il est encore plus difficile pour les femmes de se révolter contre leur condition. Pourtant, elles représentent une force très importante, et jouent souvent un rôle majeur dans les mouvement révolutionnaires qui peuvent exister.
II/ Quelques exemples de luttes de femmes dans les révolutions.
1/ Les femmes au cœur et à l'initiative des révolutions
Un bon exemple de l'importance que peuvent avoir les femmes dans les révolutions, c'est la révolution russe de février 1917. Pour remettre un peu les éléments dans un contexte, le 23 février 1917
(8 mars dans notre calendrier), débute une révolution qui va renverser le pouvoir du Tsar. Embourbée dans la première guerre mondiale, la Russie traverse une période de crise
importante.
Déjà en 1916, par exemple, de gros mouvements de grève liés au ras le bol de la population se déclenchent (plus d'1 million de grévistes). Le pouvoir est très impopulaire et affaibli par une guerre qui n'en finit pas et une situation sociale mouvementée.
1917 est une année très difficile, un hiver très froid, une pénurie alimentaire, un ras le bol de la guerre. Début février, une série de grèves spontanées éclate à Pétrograde, la capitale. Un
rationnement alimentaire est mis en place et la plus grosse usine d'armement annonce des licenciements.
Le 20 février, une mobilisation massive se met en place sur les mots d'ordre
« Du pain et du travail ».
A cette époque, la situation des femmes est catastrophiques : elles sont payées en moyenne moitié moins que les hommes (déjà payés une misère), travaillent jusqu'à 18h par jour, 95% des femmes accouchent sans assistance et travaillent jusqu'aux premières contractions. De plus, l'accouchement est considéré comme comme une absence injustifiée et punie par une amende et la loi autorise explicitement les maris à battre leurs femmes.
Le 23, (8 mars de notre calendrier), plusieurs cortèges de femmes (notamment des ouvrières du textile qui se sont mises en grève) manifestent dans le centre ville de Petrograde pour réclamer du
pain. Elles appellent les ouvriers hommes à les soutenir. Cette manifestation est donc rejointe par des ouvriers, qui se mettent en grève.
A partir de là, le mouvement se radicalisent,
les slogans commencent à changer, les gens réclament la fin de la guerre et du tsarisme, ils remettent en cause l'ordre établi. Suite à ça, une série de meetings s'organisent, la grève devient
générale et le Tsar se retrouve contraint d'abdiquer.
De même, pendant la révolution française de 1789, révolution portant par excellence des revendications d'hommes blancs privilégiés, les femmes jouent un rôle alors qu'elles sont totalement
exclues des droits démocratiques.
Elles sont partie prenante lors de la prise de
la bastille, les femmes du Tiers-état investissent les cahiers de doléances pour réclamer une éducation et elles sont entre 6000 et 7000 à marcher sur Versailles et ramener la famille royale à
Paris.
Mais même si il est plus facile de trouver des exemples qui datent dans le temps, les révolutions ne se sont pas arrêtées dans les années 20. Dans les processus révolutionnaires des pays arabes
qui sont encore en cours aujourd'hui aussi, les femmes ont joué et jouent un rôle très important.
En Égypte, par exemple, elles ont été les initiatrices des mouvements de grève dans les usines de textile à Mahalla fin 2007 et début 2008, s’inscrivant dans un contexte de mobilisations sociales fortes dans plusieurs secteurs : cimenteries, élevages de volailles, secteur minier, transports publics, santé, et surtout industrie textile.
Les grèves étaient bien sûr illégales. Mais refusant les baisses de salaires et la suppression des primes de fin d’année, les ouvriers commençaient à se rassembler régulièrement sur la place centrale de la ville pour protester.
Mais la production s’arrêta totalement quand les 3.000 ouvrières quittèrent leur poste et allèrent rejoindre leurs collègues hommes aux cris de : « Où sont les hommes ? Voici les femmes ! » C’est ainsi qu’elles entraînèrent les hommes dans la grève, les manifestations, les occupations, jusqu’à avoir gain de cause.
2/ Organisation et auto-organisation des femmes dans les révolutions.
Il est fondamental que les femmes prennent en main les propres affaires et puissent s'organiser et prendre des décisions entre elles. Un petit exemple de ça, en lien avec ce que je viens de dire sur la révolution russe : Le 22 février 1917, donc la veille de la journée internationale des droits des femmes, le comité central du parti bolchévik de Petrograd avait appelé à ne pas se mettre en grève le lendemain.
Ce sont donc réellement les ouvrières de l'industrie textile, par une décision qui
leur appartenait, qui sont à l'origine de cette révolution.
Pendant la révolution française, comme elles sont exclus des discussions dans les clubs masculins, elles imposent leur présence dans les tribunes et créent parallèlement leurs propres clubs de
discussion exclusivement féminins.
En 1792, avec la déclaration de guerre, l’exacerbation des conflits entre montagnards et girondins, la mise en place du gouvernement révolutionnaire, les femmes du peuple se mobilisent
spectaculairement à nouveau et elles cherchent à soutenir l’effort militaire.
Le Club des Citoyennes Républicaines et Révolutionnaires est fondé et présente
devant l'assemblée législative une pétition signée par plusieurs centaines de femmes qui réclament d'organiser une garde nationale féminine.
USA à partir de 1890 se forment des clubs de femmes qui réclament à la fois des droits pour les femmes (droits de vote, etc...) et l'émancipation des esclaves noirs. Ces clubs sont regroupés dans la Fédération générale des sociétés de femmes, à une échelle nationale.
Pourtant, ce mouvement reste un mouvement majoritairement bourgeois, même si un petit nombre d'ouvrières blanches commencent à s'y organiser. En réalité les femmes blanches bourgeoises laissent peu de place aux ouvrières et ne se préoccupent absolument pas de la question des femmes noires.
Elles sombrent même dans le racisme devant leur impression que la condition des esclaves change et pas la leur. Face à cela, des femmes noires font le choix de s'organiser, avec des préoccupations qui relèvent beaucoup moins de la charité que de la nécessité de survie de leur propre peuple.
En 1895 elles organisent même une conférence des femmes noires pour se donner les moyens d'exister à la marge de la Fédération générale des sociétés de femmes qui cherche à les exclure et multiplie les comportements et les positions racistes.
3/ Les limites de ces révolutions pour les femmes.
Ces exemples démontrent que les femmes ont joué et jouent un rôle important dans tout mouvement révolutionnaire. Pour autant, on voit bien que ces révolutions ont eu leurs
limites.
Pas forcément celles qu'on nous présente au quotidien ou en cours des histoires, mais ces limites ont eu des répercussions très importantes pour les femmes. En effet, dans chaque révolution, portés par la mobilisation et les luttes des femmes, des progrès se font.
En Chine, pendant la révolution, grâce à la pression de leurs organisations, les femmes ont obtenu le droit de divorcer, de choisir avec qui elles se
mariaient...
En Russie, elles obtiennent le droit de
vote, le mariage civil est institué, l’égalité hommes-femmes est proclamée, la loi ne fait plus de
différence entre les enfants illégitimes et légitimes, le divorce par consentement mutuel est officialisé (ou à la demande d’un seul conjoint sans besoin de preuve ou de témoin), peuvent choisir
de changer de nom, de donner le leur à leur mari ou de prendre les deux lors de leur mariage, le travail domestique est pris en charge par l'été et surtout, l'avortement est légalisé (c'est les
seul pays au monde).
Pourtant, l'échec des processus
révolutionnaires et l'incapacité de la révolution à détruire la famille et les cadres d'oppression entraînent irrémédiablement un recul pour les conditions des femmes et ce pour plusieurs
raisons.
La première, c'est la difficulté à prendre en charge collectivement la question de l'émancipation et à se saisir des enjeux. En vérité, même si les femmes et les figures féminines jouent un rôle
prépondérant dans les révolutions, elles sont en général les seules à se préoccuper de la question.
En Russie, par exemple, bien que très organisés
dans les syndicats et dans certains partis, elles sont sous représentés dans les directions et très mal considérés. Les hommes refusent de reconnaître leur valeur en tant qu'élues ouvrières et
elles sont très souvent raillées.
La seconde, c'est le manque d'auto-organisation des femmes dans ces processus révolutionnaires. Même si l'auto activité qu'elles ont pu manifester pendant les révolutions est quelque chose
d'énorme, il a manqué aux femmes des cadres de discussion et de décision pour leur propre émancipation.
D'une part parce que les enjeux d'émancipation
de la classe prennent une place très importante et que le risque que les intérêts des femmes y soient subordonnés ou qu'ils soient mis de côté est très important, c'est le cas en Chine, où après
avoir soutenu les organisations de femmes, le PCC a finalement imposé sa politique en oubliant totalement les enjeux féministes, et d'autre part parce qu'il n'y a pas réellement de mouvement
féministe structuré capable de faire le lien entre émancipation des femmes et lutte de classe capable d'impulser largement ces cadres.
La dernière, enfin, c'est l'échec politique de ces processus révolutionnaires. Les contre-révolutions coïncident toujours avec un recul de la conscience et de la condition des femmes. Elles en
sont les premières victimes. En effet, en Chine, par exemple, après la bureaucratisation du PCC, c'est le parti lui même qui devenait oppresseur des femmes.
Au lieu de se retrouver confrontées à des mariages arrangées par la famille, elles étaient mariées par le parti. De même en Russie, le stalinisme a vu réapparaître le modèle de la famille nucléaire avec la famille soviétique, et l'avortement a été à nouveau interdit sous le prétexte que « sous le socialisme nulle n'a le droit de refuser le bonheur d'être mère ».
En réalité, ces processus n'aboutissant pas à une forme de société débarrassée des oppressions, ils recréent le même système de domination que le capitalisme envers les opprimés.
Malgré une montée de la conscience dans les luttes, et des progrès apportés, le prise du pouvoir par une bureaucratie à son propre (et souvent composée exclusivement d'hommes, ce qui rend les choses encore pire) fait que ce sont leurs intérêts qui priment et non ceux de la population et encore moins ceux des femmes.
III/ Féminisme et lutte des classes
Ces exemples montrent la difficulté qu'il y a à articuler féminisme et lutte de classe. Pourtant c'est fondamental, les femmes représentant la moitié de l'humanité, il ne peut y avoir de
véritable mouvement de masse sans elles.
Il serait illusoire de penser qu'une révolution socialiste pourrait se faire en laissant de côté la moitié de l'humanité et notamment celle qui subit l'oppression la plus violente et la plus systématique.
De plus, l'oppression des hommes sur les femmes est un facteur de division de
notre classe sociale, qui l'affaiblit et multiplie les difficultés à renverser le système. Il est donc fondamental que, par leurs luttes, les femmes portent la question de l'égalité hommes/femmes
et de l'unité de la classe.
En effet, si les femmes ont été, dans l'histoire, aussi régulièrement en pointe des mobilisations, c'est parce qu'elles subissent une oppression importante et que cette oppression est directement
liée au système Capitaliste.
Il faut éviter 2 écueils :
*Le premier serait de croire que l'oppression des femmes est quelque chose de naturel, qu'il y aurait des différences biologiques entre hommes et femmes qui feraient que les homme seraient plus disposés à la politique et à regarder le foot à la télé alors que les femmes auraient des prédispositions pour le ménage et seraient plus sensible.
Tout cela est construit par notre éducation et l'image que nous donne, par exemple, la publicité.
*Le second serait de penser que l'oppression des femmes n'est liée qu'à une conjoncture et qu'il y a moyen de la faire disparaître, comme on nous le laisse entendre.
Il n'est pas rare qu'on nous dise qu'en Europe, les femmes n'ont rien à envier aux hommes, contrairement aux pays pauvres un peu barbares où les femmes sont obligées à porter le voile ou autre.
Bien sûr, certains pays appliquent, à même la loi, une discrimination évidente envers les femmes (interdiction de sortir seules de chez elles, de conduire...), mais c'est seulement une des facettes de l'oppression.
Les droits que les femmes ont pu obtenir quelque soit l'endroit ont été acquis par des luttes, comme le droit de vote, le droit à l'avortement...
De plus, avec la crise, ces droits sont constamment remis en question, comme au ¨Portugal, où le droit à l'avortement a été remis en question, où même en France où la baisse des dépenses
publiques entraîne la fermeture de plannings familiaux et de centres IVG.
Et puis crise ou pas crise, la situation est quand même préoccupante. Pour donner l'exemple de la France, fin 2010, le taux de chômage des femmes était supérieur à celui des hommes de 1,4
point.
Les femmes représentent toujours plus de 80 % des temps partiels, souvent imposés avec des heures inconfortables (tôt le matin et tard le soir). Elles sont payées, en moyenne 25% de moins que les hommes à poste et temps de travail égal.
Il est donc fondamental de poser la question des conditions de vie et de travail des femmes quand on remet en question le système parce que pour nous, le capitalisme n'est pas exclusivement un système de domination économique.
Prenons l'exemple d'un corps humain : la colonne vertébrale représentant le système économique. En réalité, le corps ne peut fonctionner sans colonne vertébrale, mais elle ne suffit pas, tous les autres organes ont un rôle à jouer.
C'est la même chose pour le Capitalisme. L'idéologie dominante, avec toutes les oppressions spécifiques qu'elle véhicule, et notamment le sexisme est un moteur essentiel du Capitalisme.
Si l'on se contente de prendre en
compte l'aspect économique, l'idéologie capitaliste et les conceptions sexistes qu'elle véhicule continueront à exister, et la révolution ne pourra pas se faire, puisque des rapports de
domination continueront à exister.
En conclusion, tous ces exemples mettent bien en lumière le fait que féminisme et lutte des classes sont liés, et qu'il est nécessaire de mettre la question de l'oppression des femmes au cœur de nos préoccupations.
Le combat féministes n'est pas un truc passé, démodé et inutile. Avec la crise, il devient une urgence pour l'ensemble de notre camp social. Il n'y aura pas d'émancipation des femmes dans le cadre du système capitaliste et ce système ne prendra pas fin sans les luttes des femmes.